von Ann Radcliffe
28,00 €
" Sur les bords de la Garonne existait en 1584, dans la province de Guyenne, le château de M. Saint-Aubert. De ses fenêtres on découvrait les riches paysages de la Guyenne, qui s'étendaient le long du fleuve, couronnés de bois, de vignes et d'oliviers. Au midi, la perspective était bornée par la masse imposante des Pyrénées, dont les sommets, tantôt cachés dans les nuages, tantôt laissant apercevoir leurs formes bizarres, se montraient quelquefois nus et sauvages au milieu des vapeurs bleuâtres de l'horizon, et quelquefois découvraient leurs pentes, le long desquelles de noirs sapins se balançaient, agités par les vents. D'affreux précipices contrastaient avec la douce verdure des pâturages et des bois qui les avoisinaient; des troupeaux, de simples chaumières reposaient les regards fatigués de l'aspect des abîmes. Au nord et à l'orient s'étendaient à perte de vue les plaines du Languedoc, et l'horizon se confondait au couchant avec les eaux du golfe de Gascogne. M. Saint-Aubert aimait à errer, accompagné de sa femme et de sa fille, sur les bords de la Garonne; il se plaisait à écouter le murmure harmonieux de ses eaux. Il avait connu une autre vie que cette vie simple et champêtre; il avait longtemps vécu dans le tourbillon du grand monde, et le tableau flatteur de l'espèce humaine, que son jeune c¿ur s'était tracé, avait subi les tristesaltérations de l'expérience. Néanmoins la perte de ses illusions n'avait ni ébranlé ses principes ni refroidi sa bienveillance: il avait quitté la multitude avec plus de pitié que de colère, et s'était borné pour toujours aux douces jouissances de la nature, aux plaisirs innocents de l'étude, à l'exercice enfin des vertus domestiques.