von Georges Bizet
18,00 €
" On m'a dit quelquefois que je devrais faire un livre sur Bizet, et ce livre, je ne l'ai jamais fait, et je ne le ferai jamais. Est-ce à moi, d'ailleurs, à le faire? Est-ce à l'élève d'apprécier les ¿uvres de son maître? Est-ce à l'ami de raconter la vie de son ami? Comment s'y prendra-t-il pour trouver et garder le ton juste, et ne risque-t-il pas de mal servir une chère mémoire en voulant trop bien la servir? Pour mon compte je l'ai toujours pensé, et j'ai cru qu'il valait mieux me borner à fournir des documents aux musicographes plutôt que de me constituer moi-même le biographe de Bizet. Voilà pourquoi, après avoir une première fois, en 1877, réuni dans une courte brochure, avec trop de réserve, sans doute, des souvenirs et des extraits de sa correspondance avec moi, je me décide aujourd'hui à publier à peu près intégralement les lettres qu'il m'avait adressées et à ra- conter les faits que je n'avais pas rapportés alors dans mon opuscule. C'est que j'étais gêné, en effet, par la préoccupation de ne pas me mettre en scène, de ne pas paraître céder aux suggestions d'un vilain amour- propre, et, en cherchant à éviter un mal, je tombai dans un autre. Heureusement, les lettres restent, et leur texte, au moins est-il là, tandis que les souvenirs,¿c'est une loi constatée par les historiens, s'altèrent et se déforment, si même ils ne s'effacent pas complètement. Il se peut donc que j'aie oublié des détails intéressants et que d'autres aient perdu pour moi de leur netteté. J'aurais dû tout écrire en 1875, au lendemain de la mort de Bizet, quand ma mémoire était bonne parce que j'étais jeune. Rien ne m'aurait empêché de retarder la publication de ce manuscrit; à présent, je le retrouverais, et bien des mots curieux, bien des conseils instructifs eussent été conservés. Enfin, si j'ai eu un très grand tort à cette époque en négligeant de tout noter, c'est une raison de plus pour consigner ici ce dont je continue à me souvenir en prévenant toutefois que s'il y a des points qui sont demeurés clairs dans mon esprit, il risque d'y en avoir d'autres où il y a peut-être de la confusion lorsque ce n'est pas une perte, une entière disparition."